“Tant que nous serons communautaristes, rien ne risque de changer au Burkina” Tibila Samiratou Ouédraogo

L’une des plus jeunes candidate aux élections législatives de novembre 2020, Samiratou Ouédraogo raconte une déception d’être exclu d’un débat sur la crise sécuritaire qui sévit au Burkina Faso. La jeune étudiante, militante du mouvement SENS engagée pour la promotion et la défense des droits humains espérait apporter sa contribution dans la quête de sécurité dans le Soum. Lisez

Bonjour très chers
J’espère que vous allez bien et que vos activités vont bon train.
Je m’excuse d’avance car le sujet sur lequel je souhaite communiquer aujourd’hui pourrait être assez sensible. Cependant, je pense qu’il est nécessaire d’en parler, et je voudrais vous demander de bien vouloir me lire jusqu’à la fin de ce récit. J’ai un message à passer.
Le mercredi 23 février 2022, jai vu sur les réseaux sociaux cette image qui appelait les fils du Soum à un rencontre, afin de proposer des solutions crédibles et concrètes, par rapport à la situation sécuritaire actuelle de la zone.
Dès que je l’ai vu, je l’ai tout de suite partagé avec des camarades engagés et demandé l’avis du secrétariat en charge de la jeunesse du mouvement SENS, pour une éventuelle participation. L’idée fut bien accueillie car pour nous, nous avons un devoir de solidarité envers nos frères du Soum. Nous avons l’obligation de porter cette croix avec eux, parce que le territoire du Burkina Faso est unique et indivisible; si le Soum venait à tomber, ce sont tous les burkinabé qui auraient perdu, et la même chose risque de se répéter dans d’autres provinces … Cette lutte alors, nous devons la mener ensemble. Par conséquent , on est tous concerné par la rencontre et il faut y aller ! Vite, je contacte l’un des numéros sur l’affiche, lui explique que nous ne sommes pas du Soum mais voulons participer à cette activité, car touchés par ce qui s’y passe. Il m’indique alors le lieu de la rencontre.
"Tant que nous serons communautaristes, rien ne risque de changer au Burkina" Tibila Samiratou Ouédraogo 2
Jeudi 24 février à 15h comme convenu, nous sommes à la salle de conférence de l’école madrassa de Hamdalaye. Une trentaine de minutes plus tard, le premier modérateur prend la parole.
Le problème, la langue parlée est le fulfudé et nous ne comprenons rien. Fort heureusement, le second modérateur (celui que j’avais contacté) demande s’il ya des personnes dans la salle qui ne comprennent pas fulfudé, nous répondons “oui” en levant les mains , et il traduit l’introduction pour nous.
Les discussions commencent.
Première, deuxième, troisième, quatrième intervention, toujours fulfudé, cette fois-ci sans traduction. Nous commençons à murmurer après l’intervention du maire de Tongomael, et le modérateur prend la parole pour traduire en une phrase, ce que Monsieur le maire et ses prédécesseurs ont eu à dire.
Nous commençons à nous regarder les uns les autres… On se demandait “le pourquoi” de ce qui venait de se passer.
Déterminez quand même à comprendre ce qui se dit et à participer aux débats, puisque nous souhaitions intervenir, nous nous tournons vers nos voisins les plus proches pour demander la traduction.
Les discussions vont de plus bel et nous, de plus en plus “bleu”! À chaque intervention, nous répétons le même geste auprès de nos voisins parce que nous avions la volonté de participer à cet échange. Je pris même l’initiative d’écrire au modérateur “s’il vous plaît monsieur, pourrait-on avoir une traduction de ce qui se dit ? Nous ne comprenons pas”. Pas de réponse, peut-être n’a-t-il pas vu le message, possible !
Entre temps, l’un de nos voisins nous dit : “vous dérangez. Vous nous dérangez… Depuis longtemps, vous ne faites que parler et vous retourner”. Une de nous essaie de lui expliquer qu’en fait, on ne comprend pas fulfudé et qu’on se retourne pour demander la traduction. Silence, il nous regarde et continue à suivre les débats, sans placer un seul mot. Nous nous disons donc que finalement, nous ne sommes peut-être pas à notre place ici et qu’on forçait trop les choses. Nous prenons donc la décision de nous en allant, retenant douloureusement dans nos gorges, les modestes contributions que nous nous étions apprêtés à partager lors de cette rencontre.
Lorsque l’on sort, un de nos voisins qui était allé payer de l’eau nous interpelle : “pourquoi partez vous”, l’une de nous répond : “vous ne parlez que fulfudé, nous ne comprenons rien”. Le voisin répond :”non mais il fallait attendre la fin.. On fera une synthèse en français pour vous”…
"Tant que nous serons communautaristes, rien ne risque de changer au Burkina" Tibila Samiratou Ouédraogo 3
Je m’arrête là.
Ce jour, 24 février 2022, j’ai compris que nous avons un problème. Il est d’ailleurs très profond. Au Burkina Faso, nous ne sommes pas burkinabé. Nous sommes dagara, mossi, peuhl, samo, etc. Et cela, ce sont des clivages qui ne nous avancent en rien dans cette lutte contre le terrorisme. Pour sauver le Soum et le pays tout entier d’ailleurs, nous avons le devoir de permettre à toutes les communautés de participer aux combats se rapportant à cette cause, et ces communautés en retour ont l’obligation de se joindre à cette “guerre” ! Tant que nous serons communautaristes, rien ne risque de changer car “les mêmes causes dans les mêmes conditions produisent les mêmes effets”! La division, l’exclusion, le renfermement n’ont jamais construit une nation. Prenons conscience de cela “avant qu’il ne soit trop tard, car il est déjà tard”, comme le disait Professeur #laurentbado.
Je termine en disant que cette scène m’a assez étonné quand même. Car je me rappelle que lors des campagnes électorales de 2020, j’ai côtoyé des soumois avec qui je ne me suis jamais sentie étrangère ! Au contraire, ils m’ont beaucoup soutenu. Merci encore à vous, le “grain DICKO”, et #dickolesahelien.
Je vous souhaite de passer une très bonne fin de semaine.
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