Transition au Burkina: les conseils d’Adama Bayala à Paul-Henri Damiba
Excellence Monsieur le président du Faso,
Tout pouvoir charrie son lot de courtisans, d’obligés et de parasites.
Je ne vous apprends rien, encore que Dieu vous ait donné le loisir de le mesurer, depuis votre avènement inattendu, mais acclamé et chanté, à la tête de l’Etat burkinabè.
Ils vous arrivent, souvent même à des heures indues, individuellement ou collectivement, avec des propositions aguichantes qui appellent votre grâce.
C’est tout naturellement dans leur rang que vous allez choisir des membres de notre futur gouvernement.
Le surprenant choix du premier ministre, Dr Albert Ouédraogo, inconnu du grand public, lui aussi ancien du Prytanée Militaire du Kadiogo (PMK), a fini par nous convaincre. C’est tout à fait normal, car l’on ne peut travailler qu’avec ceux que l’on connait et qui sont disposés à nous le rendre avec loyauté et fidélité.
Cela étant dit, je dois vous dire que nous avions accueilli à la tête de nos ministères et institutions, ces dernières années, des autorités, sous des dehors honnêtes et voués, qui étaient au fond suffisants et incompétents.
Monsieur le président,
J’ai été travaillé par l’envie de vous écrire, aussi longtemps que mon cœur et mon esprit me disputaient entre obligation de réserve et secret professionnel. Dieu seul sait, combien ils sont nombreux dans notre administration qui n’ont pas pu surmonter cette limite objective. Pourtant, ce n’est pas qu’ils manquent de courage ou d’idées.
Quant à moi, je me suis résolu à vous écrire, encouragé par la citation apocryphe du regretté Norbert Zongo qui disait : « La pire des choses, ce n’est pas la méchanceté des gens méchants, c’est le silence des gens biens ». Je m’en serai voulu de ne vous avoir pas alerté, ne serait-ce qu’à la dernière minute, sur les choix que vous viendrez à opérer qui auront des conséquences sur nos passeports pour l’avenir, malheureusement déjà cachetés de timbres suspects.
Je m’en serai voulu de n’avoir rien fait pour contribuer à vous éclairer, car ce n’est pas toujours évident, vu l’immensité de vos charges et les exigences de vos missions, ô combien exaltantes, absorbantes et éprouvantes.
Vous ne le mesurez peut-être pas, vous incarnez notre espoir- l’espoir des ploucs, des prolos, des péquenauds et des bouseux, toutes ces figures moqués et méprisés du Faso, sans défense, ni parrain.
Vous représentez l’espoir du rétablissement de l’intégrité et de l’honneur perdus du Burkinabè, perclus, noirci et drogué par l’argent roi. Vous représentez l’espoir de la réincarnation d’un rêve brisé, consécutivement à l’insurrection populaire d’octobre 2014.
Bref, votre mission, de portée historique, exige que vous vous entourez de femmes et d’hommes compétents, sages, respectueux, et vertueux qui partagent ipso facto les valeurs de la charte de la transition. Mieux, je parlerai de personnalités, avec une connaissance ahurissante de l’administration publique, ses codes, ses pratiques, ses forces et ses faiblesses.
Il vous plaira de vous garder des prestidigitateurs gominés qui, par voie de presse, ont le don de bluffer et de charmer. Il y en a eu sous les régimes des présidents Compaoré et Kaboré. Les exemples sont légions. Ils viennent de l’administration publique elle-même, du privé, des universités et de la diaspora. Une enquête sommaire, je présume que vous en avez déjà commanditée, vous édifiera.
Je le dis d’autant plus que nous avons eu l’expérience, pour le moins amère, de patrons, présumés oiseaux rares, prétendument sortis des cuisses de Jupiter, qui ont pris des libertés avec les règles élémentaires du fonctionnement de l’administration publique. N’en faisant qu’à leur tête, avec la supposée bénédiction des chefs d’Etat d’alors, ils ont eu le don de bloquer prosaïquement le fonctionnement de l’administration, à travers de multiples grèves, s’ils n’ont pas ôté le goût du travail et du travail bien fait chez leurs collaborateurs. Subséquemment, nous avons inutilement, perdu des années, le temps de leurs baux, marqués par des calculs d’épiciers, qui ont entrainé la déperdition et la vaporisation de nombreuses ressources.
En effet, il y en a qui montraient avec frénésie qu’ils entendaient utiliser l’administration comme un ascenseur vivant pour se faire le plein les poches, poussant la couardise à nommer de petits copains qui, très souvent moins compétents que les cadres de l’administration publique, jouissaient de gros contrats, dans un contexte où la masse salariale grève déjà le budget de l’Etat.
C’est le fait, je suis convaincu, de gens sans expérience de gestion. Ils n’ont enduré, pour certains, jamais la souffrance d’un agent, parce qu’ils ont vite monté leurs propres affaires et se sont érigés au sommet de modestes boites, qu’ils administrent au gré de leurs sentiments et ressentiments. Les autres, quant à eux, peut-être jamais responsabilisés, n’ont pas eu la chance d’apprendre de leurs erreurs à des échelons inférieurs de l’appareil d’Etat, avant d’être catapultés au sommet des institutions.
Monsieur le président,
Il vous souviendra que vous avez été, selon toute vraisemblance, le seul officier supérieur de l’ex-Régiment de Sécurité présidentielle (RSP) qui a été exclu des rangs, à la demande de la troupe, dans la foulée des mutineries de 2011. Votre péché, votre propension à appliquer mécaniquement et scrupuleusement les règles, au point où on vous avait surnommé Jet Lee. Cette passe malencontreuse, aux entournures de sanction punitive, marqué par un parcours singulier, vous aura enrichi, muri et bonifié. Vous en êtes venu à cultiver le consensus, le pardon, la tolérance, le rassemblement, le dialogue et j’en passe.
Vos premières actions au sommet de l’Etat le témoignent si éloquemment. Les exemples ne manquent pas, mais je me bornerai à citer ici un seul. Vous n’avez pas hésité à recevoir l’équipe de football des Etalons au lendemain d’une défaite innommable et inacceptable. Vous disiez et je cite : « Vous nous avez donné beaucoup de joie, mais aussi beaucoup de déception ». A l’époque, je me surprends à penser que vous les auriez envoyés tous dans un camp pour les « dresser ».
Aussi, je voudrais, avec votre permission, au risque de vous froisser, vous rappeler deux faits, non moins importants qui illustrent mon propos et me confortent dans mon assertion. Des maîtres censeurs glapiront, certainement ; des grandes consciences ne manqueront pas de se hérisser non plus, mais je vais parler.
Un des nôtres, revenu dare dare au pays, dès votre avènement au pouvoir pour, dit-il, apporter sa contribution à l’œuvre de refondation, a volontairement ou involontairement, au moyen de propos discourtois, entaché l’éclat du soleil naissant du Mouvement ¨Patriotique de la Sauvegarde et la Restauration (MPSR). Pas seulement, au lendemain de l’adoption de la charte de la transition, un des 15 membres de la commission technique, choisi par vos soins parmi les 20 millions de Burkinabè, s’est cru en devoir de se démarquer ; comme pour se donner bonne conscience.
Je puis vous dire, avec jactance, qu’un cadre expérimenté, tenu par l’obligation de réserve et le secret professionnel, à moins d’avoir disjoncté, ne l’aurait jamais fait. Loin de moi l’idée de démonter et de desservir qui que ce soit. Seulement, je veux dire que si vous manquez de responsabiliser des personnes qui s’imposent par leurs savoirs, leurs savoir-faire et leurs savoir-être, nous risquons tous d’en partir et le Faso avec. Je présume qu’il s’ouvrira à nos pieds des périodes de tâtonnements, de balbutiements et d’hésitations, assorties de mauvais choix de collaborateurs qui déboucheront à leur tour sur des querelles puériles et inutiles larvées ou déclarées, au grand dam des urgences.
Excellence monsieur le président du Faso,
Nous voudrions vous prier de ne point vous laisser prendre en otage, ni bluffer par les groupes de pression. Le Burkina Faso nous appartient tous. Il n’y a pas un seul Burkinabè qui valle encore qu’un autre. Seulement, nous nous complétons dans nos différences. Il vous faudra composer avec des femmes et des hommes qui ont l’expérience du feu.
Il vous faudra surtout gouverner par l’exemplarité, en impulsant la cadence. Ce sera la seule façon de nous débarrasser du mistigri du libéralisme et des vieilles habitudes sclérosées et stéréotypées.
Il vous faudra pour commencer donner le ton avec un acte fort, symbolique, qui impacte la vie de tous vos compatriotes.
Il vous plaira de multiplier les séminaires pour outiller et armer vos ministres en Administration publique, en management des ressources humaines, en communication institutionnelle, en marchés publics et que sais-je encore.
Il vous faudra surtout nous doter de plans de carrière pour gommer les humiliations et les frustrations qui empoisonnent l’atmosphère dans nos institutions, au point d’inhiber des talents.
Je m’en voudrai ne pas vous rappeler, avant de clore mon propos, que le dernier militaire à accéder à la magistrature suprême, avant vous, était un lieutenant-colonel qui a su par un tour de passe-passe, se réincarner à partir de la primature. De mon point de vue, il a royalement manqué de rentrer dans l’histoire. Quant à vous, j’ai la faiblesse de croire que vous sauriez tirer des leçons de sa gestion. Mieux, vous trouverez la ligne de rhumb à l’aune de la gestion de tous les hommes en uniforme qui ont eu l’insigne honneur de présider aux destinées de ce beau, chaleureux et hospitalier pays.
Puisse tous les vents vous être favorables !
Adama BAYALA
Auteur-éditorialiste
Communicateur- Enseignant