« aucune femme ne va accepter le mariage sans dot, aucun homme ne peut obtenir sa femme sans dot » (Dr Zakaria Soré)

Pour son troisième « café politique » de l’année 2022, l’Alliance pour refonder la gouvernance en Afrique, section du Burkina Faso (ARGA Burkina), et son partenaire, l’Institut néerlandais pour la démocratie multipartite (NIMD), ont choisi de sonder l’état du Burkina, en lien avec sa loi fondamentale. « Quelle Constitution pour un Burkina nouveau ? » a donc été le thème retenu pour les échanges, vendredi, 9 décembre 2022 à Ouagadougou, et avec pour principaux communicateurs, le sociologue Dr Zakaria Soré et le juriste Dr Aboubacar Sango.

Que ce soit l’enseignant-chercheur à l’Université Joseph-Ki-Zerbo, Dr Zakaria Soré, ou l’enseignant-chercheur à l’Université Thomas-Sankara, Dr Aboubacar Sango, tous partagent l’opinion que les périodes de transition sont considérées comme des moments propices à la rédaction d’une nouvelle Constitution (la gestion du pouvoir étant perçue comme moins partisane et impulsée du bas vers le haut). Dès lors, la rédaction d’une Constitution est supposée prendre en compte les attentes populaires.

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                                    Les communications ont été suivies de nombreuses réactions des participants

Dr Soré pense qu’une « Constitution pour un Burkina nouveau » doit impliquer la capitalisation de l’histoire récente du pays, en saisissant les tares des Constitutions antérieures (des tares qui sont partagées par les Etats voisins et liées à l’influence de visions extérieures).

La Constitution burkinabè a été inspirée par celle française, alors que les réalités ne sont pas les mêmes, soulève le sociologue. « On s’est laissé à un moment embarqué par une dynamique qui n’est en réalité pas celle de nos populations », situe Dr Soré, pour qui les Burkinabè ont donc écrit une Constitution pour être acceptés, avec à l’actif, un reniement de soi.

A titre illustratif, le sociologue note qu’au lieu de « Burkinabè », la Constitution accepte l’appellation « Burkinabé » (comme les Français appellent les habitants du Burkina). « Alors que nos parents, quand ils ont inventé le Burkina Faso, il était question de trouver un nom pour les habitants du Burkina Faso. Ils ont dit Burkinabè, pas Burkinabé. Dans notre Constitution, ce qui est grave, vous retrouvez ces deux orthographes. On ne sait pas qui on est réellement. Les parents ont pris le soin de dire que nous sommes Burkinabè ; le Burkinabè a un sens, qui veut dire Homme en langue peule, Homme intègre », interpelle le communicateur, avec en conclusion ici que les Burkinabè ne prennent pas au sérieux leur histoire et leurs réalités dans l’écriture de leur Constitution.

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                                         Dr Zakaria Soré

De l’amalgame « Burkinabè » et « Burkinabé » !

Toujours dans les absurdités, l’enseignant-chercheur note que le Code des personnes et de la famille dispose à son article 244 que « le versement d’une dot, soit en espèces, soit en nature, soit sous forme de prestations de service est illégal », alors que dans les réalités de la société burkinabè, « aucune femme ne va accepter le mariage sans dot et aucun homme ne peut obtenir sa femme sans dot ».

Il retient au finish qu’on codifie des choses qui sont contraires à la réalité nationale ; d’où la nécessité de ressortir de cette situation. C’est pourquoi, il pense que les vrais experts (acteurs) de la Constitution doivent être les populations (ce sont elles qui ont une vision du monde à défendre, il faut donc les consulter).

En résumé, Dr Zakaria Soré prône une Constitution ancrée dans l’histoire et la réalité des Burkinabè. Aussi doit-elle être sanctuarisée pour lui donner de la valeur et de l’autorité auprès de chacun, à commencer par les dirigeants eux-mêmes.


Le juriste Aboubacar Sango, lui, fait d’abord remarquer que la Constitution est un phénomène juridique qui est commun aux Etats. Elle a une portée symbolique et politique, poursuit-il, en précisant que symboliquement, et du point de vue externe, la Constitution montre le sérieux d’un Etat (la Constitution est au concert des nations, ce que le code vestimentaire est à certains évènements). « Ça fait sérieux, ça fait bien, quand un Etat est régi par une Constitution », affirme Dr Sango.


Du point de vue interne, l’adoption d’une Constitution vaut souvent changement de régime, dès lors qu’elle est adoptée par le pouvoir constituant originaire, rappelle le juriste.

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                                     Le représentant -pays de NIMD

« La Constitution marque, au plan politique, la volonté du refus de l’absolutisme de tout pouvoir discrétionnaire. Lorsqu’on décide d’adopter une Constitution, c’est qu’on veut rompre avec l’absolutisme. La Constitution, c’est aussi reconnaître que le pouvoir n’est pas sans limites ; donc le pouvoir doit être réparti entre les organes (dont les plus connus sont l’exécutif, le législatif et le judiciaire) », soutient l’enseignant-chercheur.

Il indique que la Constitution peut également être sociale, lorsqu’elle embrasse surtout les règles relatives aux libertés publiques.

Dr Aboubacar Sango a ensuite relevé le fait que le Burkina a une histoire constitutionnelle mouvementée (le pays est à sa quatrième République et celle de 91, toujours en vigueur, a battu le record de longévité). « Ces Constitutions coïncident avec des crises politiques. A chaque fois qu’on a adopté une nouvelle Constitution, c’est qu’il y a eu un coup d’Etat. C’est peut-être cette habitude qui nous fait croire que comme nous avons fait une insurrection, nous devons avoir une nouvelle Constitution. Mais, la question qu’on peut se poser, c’est de savoir est-ce que les crises que nous avons connues de 2014 à aujourd’hui trouvent nécessairement leur origine dans la Constitution, pour qu’on s’interroge sur la nécessité de l’adoption d’une nouvelle Constitution ? », expose le communicateur, pour qui l’on n’a pas encore fini d’épuiser le potentiel de la Constitution de 91.

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Les communications et échanges ont été modérés par l’expert-média, l’enseignant en journalisme, Moussa Sawadogo (au milieu) avec à sa gauche, Dr Zakaria Soré et Dr Aboubacar Sango (à sa droite)

Le régime parlementaire, à prospecter !

« L’instabilité que nous connaissons depuis 2014 ne trouve pas ses origines dans la Constitution. Mais, les crises peuvent être une opportunité pour améliorer la Constitution », tranche le juriste, qui note plus loin que la Constitution a des ressources pour résoudre les crises. La crise peut certes paraître comme une opportunité, mais n’implique pas une nouvelle Constitution ; on peut améliorer le contenu par une simple révision, argue-t-il.

Parmi les insuffisances à combler, l’encadrement des pouvoirs du chef de l’Etat. Le chef de l’Etat a des pouvoirs énormes, mais n’est aucunement responsable politiquement pendant sa gestion, décèle Aboubacar Sango.

C’est pourquoi, il pense qu’il faut réfléchir à un autre type de régime, notamment le régime parlementaire. Selon Dr Sango, même si l’on pourrait relever que le régime parlementaire a fait une expérience qui n’a pas marché sous la IIe République, il faut aussi admettre que l’on n’a pas suffisamment mené la réflexion sur l’origine de la crise qui a mis fin au régime parlementaire. De l’avis du communicateur, le régime parlementaire va résoudre plusieurs insuffisances à la fois, dont les velléités de votes ethniques.

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Le médiateur de ARGA-Burkina, Boureima Ouédraogo, donne rendez-vous en 2023 pour les prochains “cafés politiques”

A l’issue de ce troisième « café politique », tant ARGA Burkina que son partenaire NIMD se disent satisfaits de la mobilisation que de l’appropriation de l’activité par les acteurs, les citoyens. « Notre ambition, c’est vraiment faire de ces espaces, des espaces multi-acteurs d’échanges et de dialogue. Dans ce sens-là, nous avons de réels motifs de satisfaction, au regard de ce qu’on a constaté depuis les premiers cafés », exprime le représentant-pays du NIMD, Cheickna Yaranangoré.

Engagé dans environ trente pays dans le monde pour le renforcement de la démocratie, la formation citoyenne et politique des jeunes et des femmes ainsi que des partis politiques, le NIMD croit aux vertus du dialogue (qu’il considère comme le commencement de la démocratie). « Autrement, la démocratie commence par le dialogue. C’est cela que nous voulons lancer au Burkina Faso, de sorte qu’on puisse avoir une démocratie qui est, au final, au service des citoyens », présente M. Yaranangoré.

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Le NIMD, qui a ouvert ses portes au Burkina en 2020, intervient à Ouagadougou, avec des projets dans des villes comme Diébougou, Tenkodogo, Koudougou, Manga, etc. « Nous travaillons généralement avec des partenaires locaux, tels que ARGA Burkina, la CBDF (Coalition burkinabè pour les droits de la femme), le Balai citoyen, l’Association des blogueurs du Burkina. Nous sommes un peu dans une posture de co-constrcution des activités du programme avec les citoyens du pays (nous sommes, nous-mêmes, citoyens de ce pays ; on s’est dit qu’on ne viendra pas imposer les choses, c’est ensemble qu’on construit pour pouvoir atteindre l’objectif) », décline le représentant pays du NIMD, Cheickna Yaranangoré.

O.L.O
Lefaso.net

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