Benin : L’ancienne ministre de la justice Reckya Madougou lance un cri de cœur sur ses conditions d’incarcération
L’ancienne ministre de la justice béninoise Reckya Madougou dans une lettre ouverte a lancé un cri de cœur à l’endroit de la communauté nationale et internationale sur ses conditions d’incarcération à la prison civile de Missérété.
Dans une lettre ouverte intitulée « Le cri de cœur d’une détenue politique aux droits bafoués jusque dans les geôles », Reckya Madougou ancienne ministre de la justice indique que ses droits fondamentaux en tant que prisonnière, tels que les appels téléphoniques, les examens médicaux et le droit à l’information, lui sont systématiquement refusés. Profondément touchée par sa situation carcérale, elle exprime son profond mécontentement.
Le cri de cœur de Reckya Madougou
« Dans quel état de droit un prisonnier est interdit de téléphoner même à ses enfants et à son médecin traitant quand il est souffrant, et sans tenir compte de la loi ? C’est ce que je suis la seule à endurer à la prison de Missérété. Je porte ma croix et je vous survivrai, grâce à Dieu quoi que vous m’infligiez comme supplice et humiliations. Le calvaire que je subis jour après jour est sans nom, au mépris de la demande de ma libération par le Groupe de Travail de l’ONU qui a déclaré ma détention triplement arbitraire. La véritable « sorcellerie », c’est de détenir aux forceps les opposants, les priver de leurs droits fondamentaux et tout tenter pour les museler afin qu’ils soient oubliés et abandonnés. Peine perdue. Vous entendrez parler de nous. Nonobstant l’ostracisme dont je suis pour ma part victime. Aucune injustice n’est destinée à être dissimulée longtemps sous le boisseau », a écrit Reckya Madougou dans sa lettre.
Elle poursuit : « J’ai ouï dire de mes proches toutes les contre-vérités alléguées par les autorités qui se contredisent sur la gestion suppliciante et discriminatoire de ma vie carcérale. Et ce, depuis trois ans. Mon silence à un moment donné ne valait guère consentement mais une option personnelle en lien avec le parcours spirituel que je me suis imposé. Toutefois, il est des moments où l’abus de l’oppression nécessite protestation par instinct de survie », lit-on dans la lettre ouverte.
« La déclaration universelle des droits de l’homme, les règles Nelson Mandela, la convention des Nations Unies contre la torture, la convention des Nations Unies sur la discrimination à l’égard des femmes sont autant d’instruments juridiques internationaux consacrant pourtant le droit des détenus mais dont, Monsieur le DG de l’APB, vous avez délibérément choisi de me priver de la jouissance, en vue de préserver votre poste. Au demeurant, je ne vous quémande pas de faveur, je ne vous invite qu’à exercer vos fonctions dans le respect des dispositions de l’article 35 de notre Constitution. En effet, Monsieur le DG, vous violez abusivement, et de manière discriminante, depuis trois ans, mes droits élémentaires, y compris celui de téléphoner à mes enfants. Tandis que tous les détenus, même ceux ayant du sang sur les mains en jouissent au quotidien. Figurez-vous que sous le régime sordide de l’apartheid, le plus célèbre prisonnier de l’histoire contemporaine, Mandela, pouvait toutefois user des cabines téléphoniques de la prison forteresse de Robben Island », souligne Reckya Madougou.
Elle souligne dans sa lettre qu’un appel à son fils le jour de son examen lui a été même refusé : « J’ai encore en mémoire cette veille de l’examen du brevet des collèges courant Juin 2023. Bien qu’étant dans mes droits, j’ai supplié vos collaborateurs de me permettre de passer un appel à mon fils pour lui dire à quel point je l’aime et lui conseiller d’être mentalement fort pour aborder ce tournant de ses études, comme tout parent le prodigue à sa progéniture à l’approche des examens scolaires. J’ai suggéré à mes geôliers d’être présents pendant l’appel pour suivre la conversation s’ils le désiraient. Peinés, vos gens m’ont rassurée que j’aurais cette fois-là gain de cause, alléguant même que vous êtes présents dans la maison d’arrêt et que le ministre de la justice Détchénou aussi en est informé et nous fera rapidement un retour prétendument favorable. Ô que nenni ! Ce n’était que du bluff. J’ai eu tort de croire en un quelconque humanisme chez vous me concernant. Mais j’ai de nouveau laissé couler. Je n’aurais pas dû, car toute brimade non dénoncée fait le lit à des excès plus dramatiques ».
Faisant interdire l’accès de la maison d’arrêt à tous mes avocats. Il s’est même trouvé un régisseur, celui en poste à l’époque des faits, pour justifier cette mesure par un ridicule argument sorti de nulle part : « vous êtes déjà condamnée non ?» Ce qui constitue bien entendu un déni du code de procédure pénale, très navrant pour un officier en charge de la gestion d’une prison ».
Refus de visite médicale…
Toujours s’adressant au Directeur général de l’Agence pénitentiaire du Bénin, Reckya Madougou rappelle que l’autorisation d’examens médicaux qu’elle a sollicité depuis deux ans est restée sans suite puis finalement récemment autorisé.
« Vous indiquez par ailleurs dans votre communiqué que je reçois la visite de mon médecin. Mais vous omettez opportunément de rappeler d’une part que ce fut obtenu de haute lutte menée pendant toute une année et d’autre part surtout depuis 2022 que j’ai connu différentes crises sanitaires ayant poussé à une prescription d’une batterie d’examens par des spécialistes m’ayant auscultée, vos régisseurs successifs ne m’ont jamais extraite pour aller les faire. (…) En vous épargnant l’épisode de ma crise de 2021, depuis 2022 où chaque nuit est d’une atrocité que j’expose constamment à l’administration pénitentiaire, aux régisseurs, au PS, aux ministres de la justice, que de courriers n’avons-nous adressé mes conseils et moi ? Ce n’est que ces premiers jours d’avril 2024, plus de deux années plus tard, que je suis autorisée à effectuer mes examens. Du moins partiellement. Car une nouvelle requête doit être introduite au PS qui avait pourtant reçu auparavant plusieurs correspondances sur la même question. Que de pérégrinations, du dilatoire même sur des questions de santé ! Et pourtant chaque jour mes codétenus se rendent dans les centres de santé publics comme privés, certains plusieurs fois dans la semaine. En deux ans, tout pouvait m’arriver puisque la récente consultation de mon médecin fait clairement mention de sérieux risques encourus.
Plus de deux années pour obtenir une simple autorisation d’aller procéder à des examens médicaux dans des hôpitaux sur le territoire national. Et pour couronner le tout, malgré la recrudescence de mes douleurs, confirmées par la radiographie, je suis interdite de téléphoner à mon médecin personnel pour lui transmettre les résultats des analyses réalisées et discuter avec lui de la pathologie identifiée, en attendant son prochain voyage au Bénin. Pourtant aucun de vous n’ignore que la loi m’en donne le droit et que les autres détenus en bénéficient. Mieux, la santé est une question de confidentialité, de sécurité et de confiance ».
Sur le droit à l’information
« En outre, mon droit à l’information et aux loisirs pour mon équilibre mental non plus, n’échappe au réquisitoire de mes privations. Disposer d’un simple poste radio, comme les autres détenus en possèdent chacun à leur guise, est impossible lorsqu’on s’appelle Reckya Madougou. Dans une prison où climatiseurs individuels, réfrigérateurs, congélateurs, postes téléviseurs avec accès aux chaînes internationales, fours à micro-onde, consoles de jeux vidéo…sont légion chez les privilégiés, comme l’ont constaté des ONG internationales de passage. Je ne fournirai pas plus de précisions en la matière car vous ne rétablirez pas la justice en ma faveur mais vous viendrez plutôt simuler une dépossession des concernés qui ne mettront pas un mois avant de réintroduire dans la maison lesdits matériels électro-ménagers. Et c’est leur droit d’en jouir. Voilà le cirque auquel vous vous adonnez chaque fois que votre politique de « deux poids deux mesures » est dénoncée. C’est moi la bête que vous cherchez à assommer coûte que coûte. Mais « Celui qui est en moi est plus fort que celui qui est dans le monde », a écrit l’opposante détenue à Missérété.
« S’agissant de l’actualité du mercredi 29 mars, depuis des lustres, des visiteurs de tous genres écument les prisons du Bénin, du nord au sud, à la rencontre des détenus y compris ceux politiques. Ils ne présentent pas de permis de visite. Les mêmes visiteurs, civiles comme des politiques, qui sont des connaissances communes aux détenus politiques répartis dans les prisons béninoises, n’ont jamais présenté un quelconque permis de visite avant d’accéder à d’autres détenus et ils s’étonnent chaque fois que seule Reckya Madougou ne leur soit pas accessible, pensant même parfois à une lubie de ma part. Monsieur le DG, vous prenant au mot, depuis février 2023 que vous avez miraculeusement exhumé, des décombres de la préhistoire révolutionnaire de notre pays, la condition d’un permis de visite à mon encontre, plusieurs sont les membres de ma famille biologique et politique, amis et proches ayant saisi par écrit le PS afin d’obtenir ce sésame, sans succès. Vous nous imposez des péripéties auxquelles suite n’est jamais donnée ! Mais, quel cynisme ! Contrairement aux allégations véhiculées, nombreux furent les membres de ma famille et les personnalités venus individuellement à Missérété et qui ont été empêchés de me voir. Ce n’est pas seulement mes visiteurs en groupe qui sont renvoyés. Notamment l’honorable Nourenou Atchadé, l’ancien ministre Alassane Tigri, l’ex-ministre Galiou Soglo, les députés Les Démocrates pris isolément, et de nombreux anonymes compatissants à ma douleur ont cherché individuellement à me voir. Tous systématiquement sont éconduits au portail. (…) « Last but not least », l’an passé, vous avez franchi le Rubicon en faisant interdire l’accès de la maison d’arrêt à tous mes avocats. Il s’est même trouvé un régisseur, celui en poste à l’époque des faits, pour justifier cette mesure par un ridicule argument sorti de nulle part : « vous êtes déjà condamnée non ?» Ce qui constitue bien entendu un déni du code de procédure pénale, très navrant pour un officier en charge de la gestion d’une prison ».
En conclusion…
Reckya Madougou affirme : « J’ai eu l’honneur d’avoir été Garde des Sceaux, Ministre de la justice. Jamais je n’ai instruit aucun procureur, magistrat ni responsable des milieux carcéraux, aux fins de priver quiconque de ses droits, quelles que soient les charges portées contre lui. Au contraire dans mes fonctions, j’ai déployé chaque fois mon énergie à veiller à observer la distance nécessaire pour que justice soit toujours rendue sans penser à l’intérêt du poste que j’occupais. Mon ami et ancien collègue, le Garde des sceaux Victor Topanou en a plusieurs fois témoigné dans certains cercles. Lui et moi avions été confrontés dans un dossier au gouvernement où je suis restée droite dans mes bottes, malgré les conséquences auxquelles je m’exposais potentiellement ».
« Le rôle d’administration de traitements dégradants que vous acceptez d’endosser, ne devrait plus être possible dans notre pays depuis 1990. Je le dénonce afin que nul ne le subisse demain, pas même ceux qui m’y soumettent aujourd’hui ».
« Même dans le tombeau Jésus est Seigneur ». Mon âme Le bénit abondamment. Focus donc sur l’espérance qu’apporte la pâque, message de résurrection, d’amour et de paix pour tous ! Joyeuses pâques à vous qui avez encore la chance de jouir de vos droits ».
Reckya Madougou
MoussoNews