Bobo Dioulasso : Le « Kabakrou », porte d’autonomisation financière pour des femmes

Des femmes de Bobo-Dioulasso, deuxième ville du Burkina, se sont lancées dans la production artisanale d’un savon en boule, communément appelé en langage Dioula, « kabakrou ». Contre vents et marrées, elles excellent dans ce domaine depuis maintenant plus de 30 ans. Leurs produits sont aujourd’hui prisés, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.

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Un vaste espace. Des petits hangars, des tricycles transportant des barils bien scellés, sous un soleil ardant. Des bidons et des bassines qui ont perdu en majorité leur couleur d’origine. De la fumée et une odeur sordide accueillent le visiteur. Plus loin, une quinzaine de femmes travaillent en petit groupe.  Elles sont toutes à la tâche, avec une habilité qui traduit un savoir-faire forgé depuis des années.

Bienvenue au siège de l’association « Den-ba-gnouman » (la bonne mère, en langue dioula), situé à quelques trois kilomètres du port sec de Bobo-Dioulasso. Nous sommes le  24 octobre 2022 et  il est 11h 15mn. Sur ce site, des femmes de tout âge se retrouvent dès le levé du soleil pour chercher leur pain quotidien et satisfaire la clientèle. Leur spécialité, la fabrication du savon en boule, appelé communément en langue locale Dioula, « savon kabakrou », qui signifie, savon dur et solide, à l’image de la pierre. « 100% burkinabè, ce savon est fabriqué à base des résidus du liquide gras, restant après la fabrication de l’huile dans les usines, plus la soude caustique, mélangé à de l’eau », confie, la représentante de l’association, Adjita Fofana, la cinquantaine déjà enclenchée.

Pour avoir du savon kabakrou, elle explique qu’il faut d’abord prendre les résidus de la matière grasse, y ajouter de la soude caustique, joindre un peu d’eau, laisser reposer un peu, malaxer la pâte jusqu’à ce qu’elle commence à se solidifier. « Après cette étape, il ne reste qu’à former les boules de savons à la main, et les laisser sécher au soleil, ce qui finira par les donner l’aspect solide », confesse Adjita. Elle dit être l’une des doyennes dans ce domaine, de nos jours à Bobo-Dioulasso.

Le début du calvaire des femmes

« A l’époque, j’étais toute petite quand je suivais ma défunte mère pour venir travailler. En son temps, tous ces espaces étaient touffus d’herbes, et personne n’osait y mettre pied. C’était la matière liquide grasse sale de la SN CITEC, qui était déversée ici, que l’on recueillait dans le temps pour fabriquer ce savon. Mais tout cela est révolu aujourd’hui », a fait savoir dame Fofana. En termes d’expériences, elle avoue avoir une très grande longueur sur les autres pratiquantes du métier aujourd’hui, même si elle reconnait que certaines femmes de l’association, sont de loin plus âgées qu’elle. Le calvaire des femmes, poursuit Mme Fofana, a commencé quand la SN CITEC a su que le produit qu’ils renversaient, avait une grande importance.

« Quand ils ont vu que le liquide était utilisé, la société a arrêté de déverser la matière, et a commencé à la stocker, et à nous la revendre. Cela a compliqué davantage notre travail. Certaines ont été obligées d’arrêter. Sinon, des années en arrière, on était près de 3000 femmes à travailler ici », se rappelle-t-elle. Ainsi, déclare-t-elle, depuis lors, le prix de cette matière ne fait que grimper année après année. Le baril qui était acheté au maximum à 20 000 F CFA est passé à 42 500 F CFA de nos jours. Même à ce prix, dame Fofana confie qu’il ne suffit pas d’avoir que de l’argent.

En effet, il faut également lancer sa commande à l’avance dans les petites huileries de la place. Dos au mur, en rupture de stock, elle nous montre des barils d’huile qu’elle a dû faire venir de la Côte-d’Ivoire, au prix unitaire de 50 000 F CFA, rien que la semaine dernière. Aussi, cette brusque inflation ne s’articule pas seulement qu’autour des résidus de l’huile. « Le sac de soude caustique qui était à 14 000 F CFA, est aujourd’hui à 28 000 F CFA », affirme dame Fofana, sourire aux lèvres, visiblement dépassée par les évènements.

Rentable malgré tout

Malgré toutes ces nouvelles réalités, l’association reste fidèle à sa vocation, et produit chaque jour des boules de savons. Les savons de cette association sont prisés, tant sur le marché national, qu’international. « En détail, nous vendons le savon à 100 F CFA l’unité. Les gens viennent de tout le Burkina pour en acheter soit en détail, soit en prix grossiste. Nous avons également des clients dans les pays de la sous-région, notamment la Côte-d’Ivoire, le Mali, le Niger, le Togo, qui viennent permanemment pour prendre des grosses commandes, qu’ils vendent dans leurs pays respectifs », rajoute-t-elle.

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Selon Mme Fofana, les commerçants internationaux sont toujours accrocs, car ils trouvent que le savon du Burkina mousse bien par rapport à celui des autres pays. Ce commerce, même s’il n’est plus aussi florissant et juteux comme avant, Adjita Fofana trouve qu’il permet à toutes ces femmes qui travaillent quotidiennement ici, de se faire de l’argent, et de contribuer au bonheur de leurs familles respectives. Comme Adjita, Awa Traoré gagne aussi bien sa vie grâce à ce travail « Je fais ce métier il y a quatre ans. Grâce à lui, j’ai une source de revenu, même si celle-ci n’est pas très reluisante, elle me permet au moins de prendre soin de moi-même, et de ma famille », laisse entendre Mme Traoré.

Des risques pour la santé

Il faut tout de même noter que cette activité a également de nombreux inconvénients notamment pour la santé de ces femmes. « Certains soirs, quand on rentre, on sent une grande fatigue générale, car ce travail est très pénible, surtout l’étape de malaxation, qui joue sur le cœur », affirme dame Fofana. En plus des risques cardiaques, les produits chimiques issus de la soude et des résidus des huiles des usines, renferment des substances toxiques, qui peuvent constituer des risques de santé majeure à long terme pour ces femmes.

Les vœux des femmes de cette association officiellement reconnue, sont entre autres l’acquisition de machines qui peuvent remplacer la ressource humaine dans la malaxation de la pâte. Elles plaident également pour que les autorités les aident à acquérir un local propre à elles, pour un meilleur contrôle de leur activité. « Les autorités nous avaient promis à l’époque qu’elles nous trouveront un terrain adéquat pour nos activités, mais jusqu’à présent rien de concret», déclare madame Fofana.

Studio Yafa avec Mousso News

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