Chronique : les hummm… de Mariam Vanessa Touré sur – Vous avez dit veuve joyeuse ?
La perte d’un être cher est toujours douloureuse. Celle d’un conjoint est plus dramatique. Il s’agit non seulement de la disparition de son compagnon de vie mais aussi du père de ses enfants. Celle qui porte désormais le qualificatif de « veuve » se met du coup à vivre un bouleversement conjugal, familial et matériel. Cette épreuve laisse, à coup sûr, des séquelles qui marquent à vie. La veuve n’a alors bien souvent pour seule alternative que de transcender sa douleur, de se montrer forte, d’essayer de se relever de cette étape de malheur pour sa progéniture et elle. Pourtant, en dépit du calvaire qu’elle vit, certains n’hésitent pas à lui coller l’étiquette de « Veuve joyeuse ». Une appellation pernicieuse, et même déshumanisante à l’endroit d’une personne, une femme qui, bien que souffrant dans sa chair, lutte courageusement pour se reconstruire.
Hummm… Il existe encore des personnes qui conçoivent mal qu’une femme qui a perdu son conjoint puisse retrouver le sourire, s’épanouir et reprendre la joie de vivre. Au-delà de l’apparence extérieure résultant d’un jugement hâtif et subjectif, l’on est loin d’imaginer ce qu’elle vit en réalité en son for intérieur. Qu’elle reste recluse et malheureuse, elle est considérée comme une bonne femme et suscite de la compassion. Mais une fois qu’elle cherche à refaire sa vie, les critiques pleuvent. Les esprits les plus farfelus n’hésiteront pas à dire que la veuve est heureuse de son nouveau statut. Pire, certains ne vont pas manquer de lui attribuer la responsabilité de la mort de son mari.
Il fut un temps où, pour amenuiser les chances d’une veuve de recréer un nouveau foyer et pour entretenir la superstition selon laquelle le chiffre 4 serait celui de la femme, il se racontait qu’une jeune femme qui a perdu son mari doit en perdre deux autres encore et que seul le quatrième survivrait. Du coup, la veuve se voit coller une image répugnante de « tueuse de mari ». Quel homme voudrait être le deuxième ou le troisième d’une liste funeste sur laquelle son nom est scellé à l’avance ? Le comble, c’est que dans bien des cas, personne ne se soucie vraiment de ce qui a emporté le mari ! Qu’il ait succombé des suites d’un accident, d’une maladie ou même qu’il soit mort de façon tout à fait naturelle, la coupable idéale est toute désignée : son épouse, malchanceuse ou carrément habitée par un génie jaloux qui tuerait tout homme qui essaierait de l’approcher.
Hummm… La veuve était donc condamnée à vivre seule. Même si elle est courtisée, peu d’hommes avaient le courage de la prendre en secondes noces. Le lévirat apparaissait alors dans bien de cas pour la veuve comme une « chance » de remariage. Elle résulte le plus souvent d’une option de la belle-famille de ne pas perdre l’héritage du défunt et de perpétuer sa lignée. Et cela après une longue période de réclusion et des rituels dégradants, encore fréquemment imposés aux veuves par certaines coutumes.
Avec la modernité, les mentalités ont quelque peu évolué ou du moins des hommes se montrent plus courageux pour oser conquérir une veuve. Mais cette dernière est souvent traitée de sans-cœur si jamais elle choisit de refaire sa vie, ou simplement de « veuve joyeuse » pour peu que sa nouvelle situation sociale soit plus reluisante.
Cette malveillance ne semble pas s’appliquer aux veufs qui ne sont pas soumis à de telles exigences ou accusations. Même si un veuf se remarie le lendemain de la disparition de son épouse, cela choque très peu de personnes dans la société. Les arguments ne manquent pas pour plaider en sa faveur : il ne peut pas vivre seul, il a besoin d’une femme pour prendre soin de lui et de ses enfants… Des arguments qui n’ont pas droit de cité lorsqu’il s’agit de la veuve.
Bien entendu, la loi prescrit un délai de viduité. Au Burkina, l’article 246 du code des personnes et de la famille, indique que « la femme divorcée, veuve ou dont le mariage a été annulé ne peut contracter un second mariage avant l’expiration d’un délai de trois cents jours ». Ce délai est « réduit à un mois lorsque la femme peut présenter un certificat médical de non grossesse… ». Le droit à donc bien balisé la question du remariage de la femme. Mais pourtant, elle passe encore par bien de tortures morales et autres barrières sociales et coutumières.
Hummm… En plus de la douleur d’avoir perdu son compagnon de vie et d’être plongée dans une situation inconfortable dictée par les us et coutumes en matière de veuvage et d’héritage, disputé parfois avec la belle-famille, la femme doit aussi faire face aux ressentiments de ses propres enfants, surtout les plus grands, qui voient d’un mauvais œil le remariage de leur mère.
Oui, refaire sa vie après la perte du conjoint n’est point un manque d’humanisme de la part de la veuve et ne doit souffrir d’aucune condamnation.
Et dire que cette même société qui indexe les femmes seules est la même qui colle l’étiquette de « veuve joyeuse » à celle qui a perdu son mari et qui cherche à intégrer une vie de couple. S’il n’y a pas de veuf joyeux, alors il ne saurait y avoir de veuve joyeuse.