#InstantDiasporaBurkinabè | ‘’En Europe c’est difficile. Au Burkina c’est difficile. Choisis ton difficile’’ Yannick Doh, Burkinabè vivant en Belgique
« Chaque fois que je mentionne que je suis burkinabè, les gens font preuve de bienveillance et de curiosité vis-à-vis de notre pays », témoigne Yannick Nikienta DOH, Burkinabè résident en Belgique. Docteur ingénieur, il est Customer Technical Support Engineer à ArcelorMittal. Yannick ne connaît aucun burkinabè en Belgique.
- Présentez-vous à nos lecteurs ?
Bonjour. Je suis Yannick Nikienta DOH, docteur ingénieur et père d’un garçon de 19 mois. Je suis également responsable technique européen des produits disponibles à ArcelorMittal.
- Quel est votre parcours universitaire ?
J’ai tout d’abord fait une école d’ingénieur généraliste avec une option en mécanique des fluides et énergétiques avant de compléter mon cursus universitaire par un doctorat en sciences et ingénierie des matériaux et de la métallurgie.
- Qu’est-ce qui vous a amené en Belgique ? Vous y êtes depuis quand ?
Je suis arrivé en Belgique par mutation professionnelle en décembre 2019. Mon entreprise, ArcelorMittal, est implanté dans plus de 60 pays dans le monde et quand j’ai voulu faire évoluer ma carrière après une dizaine d’année en R&D, notre site de Gand s’est présenté comme une sérieuse option que j’ai transformée.
- Belgique a été la destination initiale ou avez-vous passé par d’autres pays avant ?
Je suis parti du Burkina quand j’avais14 ans pour faire mon lycée à Mayenne dans l’ouest de la France. Après mon lycée, je me suis relocalisé à Nancy dans l’est de France. Lors de mon parcours, j’ai également eu la chance de faire deux années d’échange universitaire. Une année en Erasmus au Danemark pendant mon parcours ingénieur et une année à Londres (Angleterre) pendant mon doctorat. La Belgique est le 5ème pays dans lequel j’ai posé mes valises pour y vivre.
- Comment a été votre intégration ?
Chaque pays est très différent en termes d’intégration. Hormis les pays dans lesquels j’ai vécu, j’ai eu la grande chance de voyager dans une cinquantaine de pays avec un tour du monde à la clé. Plus vous voyagez plus vos codes d’intégration sont affutés. Quand vous êtes étudiant, l’intégration se fait très naturellement aux côtés de vos amis étudiants. Quand vous êtes travailleur, l’intégration est un peu plus difficile. En Belgique, je constate que beaucoup de personnes nourrissent le même cercle d’amis depuis leur tendre enfance ce qui ne facilite pas la rencontre et l’intégration.
- Vous êtes Customer Technical Support Engineer at ArcelorMittal, c’est quoi comme poste et les responsabilités
Je m’occupe de définir le cadre technique des produits que nous vendons à nos clients. Ça permet ainsi de voir si les produits livrés sont conformes à ceux commandés par nos clients. En cas de désaccord, j’interviens également pour traiter les litiges clients que nous avons.
- Quel poste avez-vous occupé avant d’intégrer ArcelorMittal ?
De 2008 à 2019, j’ai principalement travaillé en recherche sur l’amélioration des procédés de fabrications des matériaux. J’ai intégré le centre de recherche d’ArcelorMittal à la fin de mes études où j’ai travaillé sur des problématiques d’amélioration de l’énergie dans les procédés d’aciérie avant de m’atteler à l’amélioration de la qualité au niveau de la galvanisation de l’acier. Hormis un crochet de 2 ans au centre de recherche d’Hutchinson pour l’amélioration des procédés de fabrication du plastique et du caoutchouc, j’ai passé toute ma carrière professionnelle avec ArcelorMittal.
- Comment l’opportunité s’est présentée à vous ?
A la fin de mes études d’ingénieur et lors de la recherche de stages de fin d’études, nous avons eu la chance d’avoir une présentation d’ArcelorMittal dans notre école et c’est ainsi que j’y ai postulé pour mon stage de fin d’études.
- Quels sont vos challenges au quotidien ?
Le principal défi de mon quotidien est la relation tripartite que nous avons avec les clients, les usines et les unités commerciales. Dans cette relation, chaque partie essaie de promouvoir et de défendre ses idées. Mon défi consiste donc à mettre de l’huile dans les rouages afin que chaque partie puisse bénéficier de cette relation. En tant que tampon, vous pouvez facilement vous retrouver coincer entre le marteau et l’enclume.
- Quelle expertise burkinabè apportez-vous à cette entreprise ?
Le Burkina Faso fait partie de mes racines et de mon identité. Il est impossible de sortir la partie burkinabè du reste de mon identité. La diversité ethnique que nous avons au Burkina nous aide à être naturellement ouvert d’esprit. Dans mon quotidien ça m’aide donc à me mettre à la place de mes interlocuteurs afin de favoriser cette relation tripartite mentionnée précédemment. Nous sommes, nous Burkinabè, très bien vus également. Chaque fois que je mentionne que je suis burkinabè, les gens font preuve de bienveillance et de curiosité vis-à-vis de notre pays.
- Est-ce que vous faites face à des préjugés en tant que noir africain ?
Chaque être humain fait face à des préjugés que ce soit sur sa gentilé, son origine, son physique, etc. J’essaie de partir du postulat que chaque acte provient d’une méconnaissance. Beaucoup de personnes ne connaissent l’Afrique que de ce qu’il voit à la télévision ou sur les réseaux sociaux. L’image de l’Homme africain est souvent associée à des choses négatives (sans-papiers, demandeurs d’asile, pauvreté, etc.). Je pense qu’il est naturellement de notre devoir de discuter avec les gens et de montrer l’image réelle de l’Afrique.
- Avez-vous des projets pour le Burkina ou au Burkina ?
Oui. J’ai créé avec un ami FasoMobili qui est la première plateforme burkinabè de location de voitures avec ou sans chauffeur. Cette plateforme, que nous avons créée, a permis d’employer plusieurs personnes et de mettre au service de nos concitoyens une facilitation dans la location de voitures. Nous sommes tout naturellement humbles et fiers à l’idée de contribuer modestement au confort des Burkinabè.
- Quand comptez-vous rentrer définitivement au pays ?
Ce n’est pas au programme. J’ai fait plusieurs tentatives infructueuses. Avoir vécu dans 5 pays et plusieurs dizaines de villes laisse des traces et aujourd’hui, je suis dans l’optique de stabiliser géographiquement ma vie à la fois pour moi-même et pour ma famille.
- L’Europe est parfois vu comme l’Eldorado. Vous le confirmer ?
Je suppose que quand nous parlons d’Eldorado, nous faisons référence à un lieu où la richesse coule à flot. Dans ce cas non. L’Europe n’est pas un Eldorado. Chaque pays a ses avantages et ses inconvénients. La dimension sociale que nous avons au Burkina et qui permet de se sentir épauler dans toutes les étapes de nos vies n’existe que très peu ici. Par contre, l’anonymisation de la société ici permet de réussir « caché ».
Nous voyons souvent des Benguistes qui rentrent au pays les bras chargés de cadeaux et de billets de banque pour montrer qu’ils ont réussi. Pourquoi pas ! Mais quel est le prix de cette réussite ? Comment est leur quotidien ? etc.
Chaque chose a un prix. L’Eldorado a également un prix peut importe où il se trouve.
- Que direz-vous à un jeune qui n’a comme conviction d’avoir un meilleur avenir qu’en Europe ?
En Europe c’est difficile ! Au Burkina c’est difficile ! Choisis ton difficile. La discrimination et l’esseulement peuvent être un frein important. Dans le même temps quelqu’un qui a la possibilité de surmonter ça en Europe peut surmonter les difficultés du Burkina pour réussir. Un meilleur avenir ne passe pas forcément par une seule destination ou un seul périple. La multiplication des opportunités que nous avons à notre ère est tout simplement phénoménal. Il suffit de regardes les startups au Burkina pour comprendre que nous n’avons pas grand-chose à envier aux autres.
- Est-ce que vous déconseillé de venir en Belgique ?
Je ne peux pas et ne veux pas jouer les donneurs de leçons. Chaque personne et chaque cas est unique. Il est important de peser le pour et le contre dans chaque situation et de choisir la voie qui est la plus prometteuse. Renseignez-vous auprès de personnes qui sont dans le pays sur leurs quotidiens. Est-ce que vous êtes prêts à payer le prix de la vie en Belgique ? Si oui, alors oui, sinon, restez où vous êtes.
- Est-ce que vous fréquentez d’autres burkinabè dans ce pays ? Quels sont vos rapports ?
Je ne connais aucun Burkinabè en Belgique.
- Quelle l’histoire ou le fait qui vous a le plus marqué pendant cette aventure en Belgique ?
Question très intéressante qui reste vaste. La Belgique est très différente de la France malgré leur proximité géographique. La mentalité belge est plus difficile à cerner pour moi.
- Le Burkina fait aujourd’hui face à une insécurité qui endeuille au quotidien. Comment accueillez-vous ces informations en étant loin de la patrie ?
Je vais fréquemment au Burkina et c’est avec colère, tristesse et indignation que je vis cette tragédie de notre patrie. Je tire mes informations des personnes sur place et ai à chaque fois un pincement au cœur après chaque attaque. Le vivre ensemble qui fût notre force pendant des siècles est aujourd’hui la plaie qui nous gangrène.
- Quelle peut être la solution pour renforcer la cohésion sociale et le vivre-ensemble au Burkina ?
Ma déformation professionnelle me fait me tourner vers deux axes : le dialogue social et la recherche des causes profondes. Il est important de ne pas blâmer. Aussi incohérent que ça puisse paraitre, chaque être humain arrive à justifier tous les actes qu’il commet ? Pourquoi ça arrive maintenant ? Quelles sont les actes commis il y a 20, 30, 50 ans qui ont conduit à cette impasse aujourd’hui ? Comment pouvons-nous discuter avec toutes les populations ? Quels sont leurs besoins non comblés ? etc.
- Quel est votre rêve pour la femme burkinabè ?
Sans femme, il n’y a pas de perpétuation ni de transmission. C’est important que la femme burkinabè soit à tous les niveaux de décision pour nous permettre de grandir plus vite et plus fort. Je reste convaincu que les actions d’émancipation et d’autonomisation des femmes sont les meilleures manières d’avancer tous ensemble.
Interview réalisée en ligne par Bassératou KINDO