« La situation du paludisme et des MTN est préoccupante au Burkina Faso » : Ida Savadogo
Le 23 juin, en marge de la 26e réunion des Chefs de Gouvernement du Commonwealth (CHOGM), le Rwanda a accueilli le Sommet de Kigali sur le paludisme et les Maladies Tropicales Négligées (MTN). Un rendez-vous pour la redynamisation des actions au profit de l’éradication de ces maladies. Le Burkina Faso est l’un des pays les plus touchés. Ida Savadogo, coordonnatrice de la plateforme régionale d’Afrique francophone du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme au Réseau Accès aux Médicaments Essentiels (RAME) expose l’état des lieux et les défis à relever par le pays.
Mousso News : Quels sont les objectifs du Réseau Accès aux Médicaments Essentiels ?
Ida Savadogo : le Réseau Accès aux Médicaments Essentiels (RAME) est une organisation de la société civile basée à Ouagadougou au Burkina Faso. Il est né dans le contexte des discussions sur les barrières des brevets à l’accès des pays pauvres aux médicaments contre le VIH/SIDA. Il a été reconnu officiellement en 2003 comme réseau de personnes physiques. Depuis juillet 2006, le RAME s’est ouvert aux personnes morales notamment les organisations de la société civile du secteur de la santé et des droits de l’homme. Le RAME travaille à influencer les politiques publiques pour un accès équitable aux soins de santé de qualité. Il héberge la Plateforme Régionale Afrique francophone du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
Le paludisme et les MTN demeurent endémiques en Afrique subsaharienne. Quelle est la situation au Burkina Faso ?
Le paludisme et les MTN demeurent des sujets préoccupants dans le monde. Plus d’un milliard de personne en souffre et la plus part de ces personnes vivent en Afrique subsaharienne. Selon le système mondial d’information sanitaire, le paludisme constitue le premier motif de consultation au Burkina Faso, soit 38%, représentant 13,8% des hospitalisations et surtout la première cause de décès. Pour ce qui concerne les MTN, plusieurs d’entre elles perdurent dans notre pays. La filariose lymphatique sévit toujours dans le Sud-Est (Fada, Tenkodogo, Ouargaye, Bitou) et le Sud-Ouest (Kampti, Gaoua, Bitou). Les régions endémiques de l’onchocercose sont les cascades (Banfora, Mangodara) et le Sud-Ouest (Dano, Diébougou, Gaoua, Batié). Les traitements de masse du trachome ont été arrêtés en 2017. Cependant il existe 2951 cas de complication de trachome (Trichiasis trachomateux) en attente d’être opérés répartis dans les régions de la Boucle du Mouhoun, le Centre Nord, l’Est et le Nord. La schistosomiase/bilharziose existe toujours dans les régions du Nord et du Centre-nord, deux zones à endémicité modérée. Les vers intestinaux ont un taux de prévalence situé entre 1 et 10% et sévissent au Nord, au Centre et au Sud-Ouest du pays. La certification de l’éradication du ver de Guinée a été faite en 2011, mais il demeure une maladie sous surveillance. La lèpre quant à elle a été éliminée en tant que problème de santé publique en 1994 ; toutefois, 152 nouveaux cas de lèpre ont été dépistés en 2021, dont 62 patients atteints d’une infirmité de 2ème degré. Nous constatons donc que la situation du paludisme et des MTN est préoccupante au Burkina Faso.
Quelles sont les actions du RAME pour le contrôle et l’éradication de ces maladies ?
Le RAME intervient dans toutes les régions du Burkina Faso, en collaboration avec des organisations communautaires. Les actions principales de l’organisation pour le contrôle et l’éradication du paludisme et des MTN sont notamment la veille citoyenne, le plaidoyer et le renforcement des capacités. A travers l’Observatoire Citoyen des Services de Santé (OCASS), le RAME collectionne les dysfonctionnements constatés dans les services de santé afin d’identifier les goulots d’étranglement et de mener le plaidoyer pour leurs solutionnements. Le réseau fait partie des ONG nationales qui font le contrôle de l’effectivité de la gratuité des soins et du « Task Force » de la société civile pour la lutte contre le paludisme au Burkina Faso. Grâce à une subvention de l’ONG Speak Up Africa, nous organisons des ateliers de renforcement de capacités des OSC en faveur de la lutte contre les MTN. Au niveau sous régional et international, le réseau héberge la plateforme régionale d’Afrique francophone sur l’engagement communautaire du Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Il milite pour la reconstitution du dit fonds à travers le Global Fund Advocates Network (Réseau des plaideurs du Fonds mondial). A cela, s’ajoute sa présence au sein du comité de pilotage de la coalition international « Non aux MTN ».
Des organisations de la société civile dont la vôtre mènent le plaidoyer pour une intégration des programmes de contrôle et d’éradication du paludisme et des MTN. Quelle serait l’efficacité d’une telle approche ?
L’intégration des programmes de contrôle et d’éradication du paludisme et des MTN permet le renforcement de la coordination des interventions de lutte contre ces pathologies pour une efficience dans la mise en œuvre des interventions de lutte contre ces maladies. Elle améliore l’efficacité du financement des systèmes de santé. Ainsi il est important d’aller vers cette intégration afin de rationaliser les efforts et les coûts de collecte de données sur les MTN et le paludisme. C’est afin d’attirer l’attention des décideurs et de l’opinion publique sur la nécessité d’intégrer ces deux programmes que le RAME, a organisé le 23 Avril 2021, à Ouagadougou, une conférence de presse, à laquelle a pris part le ministère de la santé et d’autres organisations de la société civile, pour communiquer sur l’importance de mettre en place une approche multisectorielle et intégrée. Car la lutte reste insuffisante et disproportionnée de façon générale bien que des points de similarité entre le paludisme et les MTN aient été développés à travers cinq domaines et des possibilités d’intégration. Il s’agit notamment de l’ancrage institutionnel qui facilitera l’intégration et donnera une vision commune aux deux programmes. Du point de vue épidémiologique, précisément sur la transmission vectorielle, le paludisme a le même vecteur de transmission que la filariose lymphatique (l’Anophèle). On pourrait donc fusionner les équipes pour la lutte anti vectorielle (préparation, mise en œuvre, supervision, bilan). En termes de stratégies de lutte, les mêmes acteurs pourraient aussi agir pour la chimio-thérapie préventive et les traitements de masse.
Quels étaient vos messages pour le Sommet de Kigali sur le paludisme et les MTN ?
Il faut d’abord souligner qu’en prélude au sommet de Kigali, une campagne intitulée ” En Marche vers Kigali “ a été lancé par les OSC lors de la Journée mondiale de la Santé en mars 2021. Elle appelle les gouvernements et les partenaires de toute l’Afrique à s’engager et à donner la priorité à la lutte contre le paludisme et les Maladies Tropicales Négligées (MTN). Les OSC ont exhorté les dirigeants du monde mais surtout ceux du continent africain présents au Sommet de Kigali sur le paludisme et les maladies tropicales négligées (MTN), à accélérer les efforts pour éradiquer ces maladies entièrement traitables et évitables. Il reste moins de 10 ans pour l’atteinte des Objectifs mondiaux de Développement Durable (ODD). Étant donné que ces maladies touchent tout le monde en Afrique, la campagne “En Marche vers Kigali” visait également les pays d’Afrique non membres du Commonwealth, tels que la Guinée, le Sénégal, le Bénin et le Burkina Faso. Cette campagne panafricaine a connu une croissance organique grâce aux partenariats et plateformes des mouvements “Non aux MTN” et “Zéro Paludisme, Je m’engage”, dont l’objectif commun est de mettre fin aux effets néfastes de ces maladies sur le continent.
Propos recueillis par Harouna Drabo