« Le 8-Mars, il faut faire du bruit»

Décidément, cette femme n’a pas sa langue dans sa poche. Anthropologue chargée de recherches à l’Institut nationale des sciences des sociétés (INSS), Dr Jocelyne Vokouma est l’une de ces femmes qui vous font sentir fière d’être une femme, tant elle vous séduit par la maîtrise de son sujet et son niveau de culture générale. A l’occasion de la célébration du 8-Mars, Queen Mafa l’a rencontrée.

Queen Mafa  : Que représente le 8-Mars pour vous ?

Jocelyne Vokouma : Le 8-Mars, c’est tout un symbole que cela représente pour les pays et pour les femmes en particulier. En ce sens que c’est une journée qui marque le début de la révolte singulière des femmes à un moment où elles se sentaient exagérément exploitées.

C’est un mouvement qui est parti de New York où une femme qui travaillait dans l’industrie textile a dit non à une situation d’exploitation. Aujourd’hui quand on célèbre cette journée, c’est à ces femmes pionnières qu’on la doit et cela, il faut s’en souvenir. C’est très important. C’est au prix de sacrifices qu’une cause est menée, qu’un combat est conduit de génération en génération. C’est un symbole très pertinent.

« Toutes les femmes sont des exclues ou de potentielles exclues »

 Cette année, le thème du 8-Mars porte sur l’exclusion sociale des femmes. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Cela m’inspire beaucoup de choses. De lui-même, le thème est évocateur. Il parle des réalités de toutes les femmes. C’est vrai qu’on a mis l’accent sur les exclues visibles mais en réalité toutes les femmes sont des exclues ou de potentielles exclues. Il faut le noter en ce sens que dès que la fille naît elle est déjà exclue du fait de son statut de naissance, du fait de la préférence que la société a pour le garçon. On ne juge pas nécessaire d’investir en elle parce qu’elle est traitée d’étrangère.

L’exclusion, ce n’est pas seulement à l’âge adulte ou quand on vous traite de mangeuse d’âmes. L’exclusion commence dès la naissance. On fait comprendre à la fille qu’elle ne peut pas occuper la même position que le garçon, car c’est ce dernier qui va perpétuer la lignée familiale, c’est lui qui va garder la cour familiale. Tout cela, ce sont des éloges conjugués qui font de l’homme ou du garçon, un être conforté dès sa venue au monde.

Pourtant, la femme naît dans un contexte de discrimination qui, au fil du temps, se traduit en exclusion à la moindre erreur. La tradition interdit par exemple qu’une fille tombe enceinte dans la cour paternelle. Si elle commet cette erreur de parcours de vie, l’exclusion ne se fait pas attendre. Si après cela, elle sait se tenir correctement, elle suit les normes de la société, les normes établies par la coutume, on la marie en la donnant ou en faisant un mariage arrangé. Dans son foyer, elle doit encaisser les souffrances pour pouvoir s’en sortir. Si par hasard, elle décide de s’enfuir, de quitter ce foyer, personne ne va l’accueillir. Si elle se remarie, c’est la même souffrance qui continue. Il existe de nombreuses femmes dans cette spirale interminable.

Pour schématiser un peu, de mariage en remariage, elle se retrouve un jour seule parce qu’elle n’en peut plus. Avec l’âge et la vieillesse, comme elle vit seule, alors que c’est un concours de circonstances qui l’a emmenée à vivre seule, on la traite de mangeuse d’âmes. C’est en ce moment qu’on parle d’exclusion alors qu’elle a déjà traversé des stades d’exclusion que personne ne voit.

Que pensez-vous des débats autour du pagne du 8-Mars et notamment l’entrée massive des pagnes imprimés au détriment du Faso Dan Fani ?

Je trouve le débat très faux. Quand un débat n’est pas cohérent, il n’apporte rien à la société.J’ai fait dix ans de recherches là-dessus. Ma thèse a porté sur « Les techniques de tissage au Mogho : origines et évolution ». A travers mes recherches, j’ai découvert l’origine du tissage chez les Mossé, la dimension politique et socioculturelle du vêtement.

La particularité du Dan Fani, c’est qu’il est une production artisanale et l’autre est industrielle. L’un est tissé à la main et l’autre tissé par une machine. On ne peut pas les comparer. Il faut savoir poser objectivement le débat pour trouver une solution. Au nom du libéralisme qui est une option nationale depuis un certain temps, on ne peut pas empêcher les commerçants d’importer les pagnes imprimés.La cohabitation entre ces deux types de pagnes ne date pas de maintenant. Pourquoi c’est à l’occasion du 8-Mars qu’on pose ce débat ? Les tisseuses ne peuvent pas rivaliser avec la production industrielle. D’ailleurs beaucoup d’entre elles souffrent de mal de poitrine à cause de ce travail pénible. C’est toute une politique qui doit accompagner le Dan Fani.

Quelles solutions préconisez-vous ?

J’ai proposé la création d’un comptoir du textile burkinabè qui servira d’incubateur d’entreprises aux femmes. C’est-à-dire qu’il y a une boutique qui réceptionne la production textile des femmes. Lorsque les femmes tissent, elles n’ont plus de soucis d’écoulement. Elles deviennent de ce fait comme des grossistes.

Si cela est fait, elles se protègent de la mévente. Elles n’auront pas à aller voir les imprimeurs pour tamponner le Dan Fani. Ce qui est pour moi une dévalorisation car le travail de tissage est beaucoup plus noble que cela. Si on veut en faire l’uniforme pour un évènement comme le 8-Mars, il faut choisir seulement la couleur. La couleur seule peut être un indicateur.En tamponnant le logo du 8-Mars sur le Dan Fani, les femmes ont créé un marché pour des gens qui s’en sortent mieux qu’elles. Le Faso Dan Fani a besoin de la même dynamique que le gaz butane : on le subventionne pendant un bon moment afin qu’il entre dans les habitudes des familles.

« Fêter n’empêche pas de réfléchir, c’est une attitude émancipatrice »

Depuis quelques années, le 8-Mars est devenu un grand moment de réjouissances populaires au Burkina Faso. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?

Cela va de soi que la célébration prenne une allure festive. Vous voyez, lorsque les Nations Unies ont décrété la décennie de la femme (1975-1985), il a été demandé à tous les pays du monde entier de la célébrer avec faste. Tout cela, c’est pour sortir la femme de l’ombre. Faire du bruit, s’amuser, danser pour qu’on entende la cause de la femme. Si des femmes critiques cela, c’est qu’elles ne savent pas d’où est partie l’idée. Fêter n’empêche pas de réfléchir, c’est une attitude émancipatrice. C’est un facteur libérateur quand les femmes vont fêter dans un bar, parce que la société traditionnelle ne l’accepte pas. La thématique de l’occupation de l’espace public par la femme est une réalité que les gens ne perçoivent pas. Arrêtons de martyriser les femmes. Pendant 365 jours, elles sont au four et au moulin ; le seul jour qui leur permet de se divertir, laissez-les exister ne serait-ce qu’un jour. J’attire l’attention sur la dimension de l’occupation de l’espace public par les femmes. Que les gens arrêtent de les juger pour cela.

« Si on n’a pas encore commencé à débattre de la question de l’avortement au Burkina Faso, c’est simplement de l’hypocrisie »

 

Le droit à l’avortement est une revendication dans certains pays. Pensez-vous que le sujet mérite d’être à l’ordre du jour au Burkina Faso ?

Si on n’a pas encore commencé à débattre de cette question, c’est simplement de l’hypocrisie. Renseignez-vous, elles sont nombreuses, les filles qui se cachent pour aller le faire. Les filles qui meurent dans le silence, on ne peut pas les dénombrer. Socialement c’est une honte d’avorter et les familles qui ont vécu l’expérience sont mieux placées pour en parler. La dynamique de parler de l’avortement clandestin comme un sujet d’intérêt public ne date d’aujourd’hui.

Les filles ont de plus en plus des grossesses non-désirées. Sans prescription médicale, elles arrivent à faire le test de grossesse. Quand elles se cachent pour le test cela veut dire ce que ça veut dire. Il ne faut pas attendre que les gens meurent avant de savoir qu’il faut faire quelque chose.C’est vrai que la question de l’avortement est un tabou jusque-là. Pourtant, plusieurs familles souffrent des conséquences de ce drame silencieux.

Les pilules existent ; il faut que les parents dialoguent avec leurs enfants. Un enfant ne s’éduque pas dehors. Ce qu’on demande aux parents ne nécessite pas d’apport financier. Ce qu’on demande se trouve déjà en eux et c’est le processus de transmission des valeurs.Les valeurs qu’ils ont reçues de leur communauté, c’est cela qu’on leur demande de transmettre aux enfants par le dialogue. L’enfant doit répondre d’une identité familiale.

                                                                                                  Issa KARAMBIRI

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