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PMU’B : Dans l’univers de ces femmes turfistes
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« Les femmes jouent au PMU’B hein ! Elles sont très nombreuses, celles qui jouent tous les jours », s’exclame Madi Ouédraogo, parkeur devant l’agence de la Loterie nationale burkinabè (LONAB) du quartier Patte d’oie de Ouagadougou. Cette agence, comme celles qui sont un peu partout dans la ville de Ouagadougou et ailleurs ne désemplissent jamais. Au milieu des hommes de nombreuses femmes tentent quotidiennement leur chance au Pari mutuel urbain (PMU) depuis plusieurs années, dans l’espoir de devenir multimillionnaires. Bienvenues dans l’univers de ces femmes turfistes.
Rosalie Kabré, 73 ans, joue au Pari mutuel urbain burkinabè (PMU’B) depuis 1982, date de naissance de son premier fils. Espérant depuis 42 ans être multimillionnaire, cette turfiste avoue toutefois n’avoir jamais décroché un gros lot. « Je ne me décourage jamais. Et jusqu’à ma mort, je vais toujours jouer. Parce que les 10 000 F, ou 15 000F, ou même parfois, 35 000 F que je gagne là, me permettent de survivre », dit-elle enthousiasmée. Chaque jour à partir de 11h, la septuagénaire se rend au club PMU’B près de son domicile dans le quartier Belle-Ville de Bobo-Dioulasso.
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Elle prend son journal Hippique qu’elle ramène à la maison pour regarder. « Je ne sais pas lire », dit-elle, en éclatant de rire. A la question de savoir comment elle fait pour bien pronostiquer, Rosalie a son secret : elle regarde la page 3 du journal hippique où il y a des numéros au nombre de 9. « Il y a 8 parties et devant chaque partie, il y a 9 chiffres. Je regarde dans les 8, le numéro qui revient fréquemment. Si je vois par exemple 8, au moins 4 fois, je note ça. Ainsi de suite. Jusqu’à ce que j’aie mon pronostic », explique-t-elle.
Avec cette astuce, la »mamie » témoigne perd assez rarement. « Je ne gagne pas beaucoup mais je perds rarement aussi. En tout cas, je peux faire une semaine creuse, puis une autre semaine fructueuse qui me permet de rattraper la perte », dit-elle. Rosalie aime surtout jouer au couplé (mise de 500 F CFA sur deux chevaux devant être dans les 3 premiers à l’arrivée, Ndlr. « C’est assez bénéfique », précise-t-elle.
Construire son terrain
Rosalie, mère de 4 enfants et de plusieurs petits enfants à un terrain dans la région des Cascades précisément à Pela. Son espoir : gagner au PMU’B pour construire cette parcelle. « On dira que je suis vieille, mais je pense beaucoup à mes petits-enfants. Souvent, ils me demandent de l’argent pour aller à l’école, alors que je n’en ai pas suffisamment pour eux et pour jouer à la loterie. Je veux surtout les mettre à l’aise et construire ma parcelle », souhaite-t-elle. A cela s’ajoute le petit commerce qu’elle menait devant le domicile qu’elle entend relancer. L’âge n’est qu’un chiffre pour Rosalie. Pour elle, seule la maladie peut empêcher de réaliser ses rêves. « En tout cas, je crois et je sais que je vais gagner un jour, avant ma mort », dit-elle amusante.
Lire aussi: Club PMU’B : Une véritable autonomisation financière des femmes – Mousso News
« Je ne me décourage jamais »
Dans les rangs des turfistes ce 27 novembre 2024, Laurentine Yougbaré s’empresse à jouer pour repartir dans son kiosque à café. Visiblement stressée, elle reprend son ticket et quitte les rangs. Habillée d’un pagne et d’un tee-shirt, la jeune femme informe qu’elle est veuve. Elle a par ailleurs pris goût aux PMU avec son défunt époux. « Lui, il aimait jouer. Du coup, il m’a entrainée là-dedans et parfois, on se faisait nous-mêmes les paris pour savoir qui va gagner le gros lot », se souvient-elle.
Le regard lointain, elle indique jouer presque tous les jours. De nos jours, les cagnottes qu’elle gagne sont devenues une source de revenue. « C’est avec ça que j’économise pour payer le loyer, la scolarité des enfants, la nourriture, la santé, etc… », témoigne Dame Yougbaré.
La Lonab est un grand soulagement pour moi et sans doute pour beaucoup d’autres femmes.
Laurentine Youbgaré, veuve
Sa prière de ce 27 novembre est de gagner absolument. Pourquoi ? « Depuis une semaine, un rappel de paiement de la scolarité est déposé devant la table. L’école nous donne jusqu’à au 1er décembre, faute de quoi, l’enfant ne fera pas la composition », relate la jeune dame marmonnant de petites prières.
A l’entendre, la LONAB est d’un grand soulagement pour elle, et sans doute pour beaucoup d’autres femmes qui vivent dignement grâce à ces jeux. « Je ne me décourage jamais. Je vais continuer de jouer », se convainc-t-elle.
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Clarisse Koula a aussi la même conviction : pas de découragement. Elle reconnait qu’il est plus difficile pour les femmes de jouer autant que les hommes. « Les hommes ont plus le temps de bien lire, bien choisir les numéros que nous les femmes. D’ailleurs, beaucoup de femmes ne savent pas lire. Donc, on choisit seulement », explique-t-elle. Toutefois, elle ajoute que plus on joue, mieux on comprend beaucoup de chose et cela permet d’avoir de temps autre des gains.
Ouvrir une boutique de pagne grâce
31 ans, commerçante de pagne et de condiments, Sandrine était dans les rangs de l’agence de la LONAB du quartier Wentenga. Dans sa robe couleur bleu, visiblement chétive, elle dit jouer depuis près de 5 ans.
»Si on ne joue pas, on ne va pas gagner. Il faut que certaines perdent pour que d’autres gagnent. C’est l’esprit même du PMU’B comme ça ».
Clarisse Koula, commerçante
Le virus du PMU’B l’a contaminée par le biais de son défunt père. « De son vivant, il jouait beaucoup. Et quand il est décédé, je l’ai vu en songe en train de me donner un numéro à jouer. Le lendemain, je suis allée jouée et j’ai eu 15 000 F CFA. Et depuis lors, je joue », explique la jeune dame.
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Tout comme les autres femmes, Sandrine est toujours motivée à jouer malgré qu’elle ne gagne pas tout le temps. « Si on ne joue pas, on ne va pas gagner. Il faut que d’autres perdent pour que d’autres gagnent. C’est l’esprit du pari même comme ça », détaille-t-elle. Son rêve : gagner un jackpot pour ouvrir sa boutique de pagne et d’articles de femmes.
Pas de femmes dans la course en direct
Dans l’ensemble des agences visités, il est rare de voir une femme parmi les parieurs des courses en direct. Manque de temps ou fuite du regard de l’autre ?
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Des hommes ont la réponse. « Les femmes n’ont pas ce temps de venir s’asseoir du matin au soir pour jouer en direct. Elles préfèrent les jeux classiques », indique Karim Kinda, pronostiqueur. La raison se trouve plus dans les préjugés, explique Clarisse et Safoura. « Pour jouer d’abord même, on se cache pour le faire. Souvent, tu te retrouve seule dans les rangs avec les hommes. Imagine, si tu t’en vas t’asseoir à suivre une course en direct. Il y a des hommes qui ne supportent pas de voir une femme parmi eux », raconte Safoura.
Landry Sosthène Sombié/MoussoNews